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L’addiction au travail sur soi : quand la quête de guérison devient une prison


L'addiction au travail sur soi : tendance à passer sa vie à chercher à se réparer, se comprendre, se transformer… sans jamais vraiment vivre. On croit qu’on est sur le chemin de la libération, mais on finit souvent dans une autre forme d’emprisonnement psychique.

Qu’est-ce que le travail sur soi ?


Le travail sur soi regroupe toutes les démarches visant à :

  • comprendre son histoire,

  • dépasser ses traumatismes,

  • réguler ses émotions,

  • identifier ses schémas,

  • développer de nouvelles compétences relationnelles,

  • incarner une version “plus alignée” de soi.


En soi, c’est précieux et parfois vital.

Beaucoup d’entre nous n’ont pas appris à prendre soin de leur monde intérieur.

Le travail sur soi permet de reprendre du pouvoir sur sa vie et de sortir de la répétition inconsciente.


Quand le travail sur soi devient une addiction


Pourtant, cette démarche peut devenir un piège.

On bascule de l’exploration à l’obsession.

De la régulation à la compulsion.


Quelques signes concrets :

  • Vous passez une grande partie de votre temps libre à faire des formations, lire des livres, écouter des podcasts, consommer des contenus d’auto-amélioration.

  • Vous ressentez de la culpabilité quand vous n’êtes pas “en train de travailler sur vous”.

  • Vous avez l’impression qu’il reste toujours un blocage, une blessure, un trauma à traiter avant de pouvoir avancer.

  • Vous investissez des sommes importantes dans des accompagnements sans voir de changement réel dans votre quotidien.

  • Vous ne prenez plus de plaisir simple, car tout doit être analysé et optimisé.

  • Vous pensez qu’arrêter serait une régression.


Et voilà quelques exemples plus concrets, très résumés raccourcis, pour vous montrer le cercle vicieux et comment parfois, quand on pense être en train de faire le job, on est finalement juste en train de répéter le script (défi pour toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans l'addiction au travail sur soi : ne pas utiliser ce post pour repartir dans une énième analyse ou exploration sauf si ça t'aide à en sortir... mais plutôt : ferme ton PC ou ton tel et va voir des amis, va marcher dans la forêt, va prendre un bain, vis !)


Exemple 1

Situation

Lucie, 38 ans, consulte des thérapeutes depuis 10 ans. Elle participe à plusieurs retraites chaque année, achète tous les nouveaux programmes en ligne sur les traumas, fait 4 heures de lecture ou d’introspection par semaine.Elle ressent une angoisse profonde à l’idée de “louper quelque chose d’important” dans son parcours de guérison.

Cause possible

Une peur du vide existentiel : Lucie a grandi dans un environnement où l’inaction ou la simplicité étaient vécues comme de la paresse et un risque de dévalorisation.Le développement personnel est devenu son identité et sa sécurité psychique.

Impact

Elle a peu de relations stables, car elle “n’a jamais le temps” ou estime qu’elle n’est “pas prête à aimer”.Elle reporte sans cesse la création de son projet professionnel car “il reste trop de couches à guérir”.Son estime d’elle est liée au sentiment d’être “sur un chemin de conscience plus élevé que les autres”.


Exemple 2

Situation

Mickaël, 42 ans, passe chaque conflit relationnel à décortiquer ses parts d’ombre et ses projections. Il tient un journal quotidien où il note toutes ses pensées “non alignées”.Il fait de l’EFT, des rituels chamaniques, des constellations familiales, et a la conviction qu’il doit “tout nettoyer” avant de s’engager dans une relation durable.

Cause possible

Un traumatisme relationnel ancien, avec un parent très critique.Il a appris enfant qu’il devait se corriger en permanence pour espérer être digne d’affection.

Impact

Il est isolé, éprouve une honte chronique quand il “n’avance pas assez vite”.Il rejette toutes les situations relationnelles stables par peur de “projeter ses blessures”.Sa vie est rythmée par la recherche de la prochaine méthode pour enfin se sentir “guéri”.


Exemple 3

Situation

Sophie, 35 ans, consomme de façon compulsive des contenus sur Instagram, YouTube, et des podcasts sur le trauma, le narcissisme, les schémas d’attachement.Elle a investi plusieurs milliers d’euros dans des formations qu’elle n’a jamais terminées.Elle passe plus de 3 heures par jour à “travailler sur elle” au lieu de créer sa vie.

Cause possible

Un sentiment d’infériorité profond : elle pense que “les autres ont compris quelque chose qu’elle ignore”.Sa quête de guérison est devenue une manière de tenter de combler un vide identitaire.

Impact

Elle vit dans une rumination constante, n’arrive pas à passer à l’action et se sent de plus en plus coupée de la spontanéité.Son rapport au développement personnel est teinté de culpabilité et d’épuisement.Elle se dit “bloquée” et a perdu confiance dans sa capacité à changer sans un “expert” extérieur.


Cette spirale est proche d’une forme de dépendance comportementale.

Elle fonctionne comme une fuite subtile : on s’occupe de soi… mais on évite de vivre.


Pourquoi devient-on dépendant du développement personnel ?

Voici 6 raisons fréquentes, dont le besoin d’appartenance :

1. La blessure d’imperfectionVous avez intégré que vous n’êtes pas “suffisant” tel que vous êtes.Le développement personnel devient un moyen de gagner votre droit d’exister ou d’aimer.

2. La peur du videSans activité intérieure, sans objectif de transformation, vous ressentez un vide existentiel insupportable.Se “travailler” en permanence occupe l’esprit et anesthésie la peur.

3. L’illusion de contrôleVous croyez qu’en accumulant des outils et des prises de conscience, vous allez pouvoir tout maîtriser : vos émotions, vos relations, votre avenir.C’est une tentative de se protéger de l’imprévisible.

4. Le besoin d’appartenanceLe développement personnel est aussi une culture et une tribu.Participer à des stages, intégrer des groupes Facebook, partager des lectures communes crée un sentiment de lien et de reconnaissance.On se sent faire partie d’un “monde” qui valorise la quête de soi.C’est particulièrement vrai si, dans votre environnement d’origine, vous ne vous sentiez pas compris.L’appartenance peut devenir plus importante que la transformation elle-même.

5. Le sentiment d’identitéSe définir comme “en chemin”, “en guérison”, “en quête” peut devenir un rôle identitaire puissant.C’est rassurant : on sait qui l’on est, même si c’est “celui qui se soigne”.Sortir de cette posture crée une forme de vide identitaire : “Si je ne suis plus celle qui travaille sur elle, qui suis-je ?”

6. La récompense symboliqueLe développement personnel est valorisé socialement : il donne l’image d’une personne consciente, responsable, évoluée.Le regard des autres (ou l’auto-satisfaction) agit comme une récompense symbolique qui entretient la dynamique.

En résumé L’addiction au développement personnel est rarement un simple excès de curiosité. C’est souvent :

  • une stratégie de survie émotionnelle,

  • un moyen de fuir l’insécurité ou l’isolement,

  • un substitut à un besoin plus profond (amour, appartenance, reconnaissance).

Les conséquences de cette dynamique

À long terme, cette dépendance peut :

❌ nourrir un climat interne de suspicion et d’auto-critique permanents, ❌ générer de l’épuisement émotionnel et un sentiment d’échec chronique, ❌ créer une identité centrée sur le “travail sur soi” plutôt que sur l’expérience vivante, ❌ vous isoler des relations et des activités non thérapeutiques, ❌ entretenir la croyance que votre valeur dépend de votre capacité à vous réparer.


Comment en sortir ?

Sortir de l’addiction au travail sur soi ne veut pas dire renoncer à grandir.

Cela veut dire revenir à l’équilibre :

Reconnaître que vous n’êtes pas un projet à finir. Votre humanité n’est pas un défaut. Vous pouvez être en chemin sans vous réduire à un chantier permanent.

Vous autoriser la joie sans justification. Vous n’avez pas besoin de mériter le plaisir, la connexion, la simplicité.

Apprendre à faire confiance à la vie. La guérison n’est pas qu’un processus mental ou émotionnel. C’est aussi un processus existentiel qui se vit dans l’action, la relation et l’expérience.

Poser des limites aux contenus et accompagnements. Faites des pauses. Laissez décanter. Écoutez ce qui mûrit naturellement.

Prendre des décisions concrètes.

Agir avant de se sentir “parfaitement prêt”.



Pourquoi c’est INDISPENSABLE de connaître l’addiction au travail sur soi quand on est accompagnant ?


Quand on accompagne des humains – que l’on soit thérapeute, coach, éducateur, facilitateur – il est essentiel d’avoir conscience de ces dynamiques pour plusieurs raisons majeures :


Pour ne pas confondre votre chemin personnel et votre posture professionnelle

Si vous êtes prisonnier de votre propre quête infinie de guérison, il devient très difficile de distinguer :

  • ce qui relève de votre histoire personnelle non digérée,

  • et ce qui relève du besoin réel de votre client.


Autrement dit : votre inconscient finit par piloter votre accompagnement.Vous risquez de projeter sur l’autre votre exigence de réparation, votre peur du vide ou votre besoin d’être utile.


Parce que votre propre addiction peut alimenter celle des personnes que vous accompagnez

Si vous êtes en hyper-focus sur la guérison permanente, vous pouvez inconsciemment :

  • encourager vos clients à chercher sans cesse la “prochaine couche”,

  • leur faire croire qu’ils doivent atteindre un niveau hypothétique de pureté psychique avant d’agir ou de s’autoriser à vivre,

  • renforcer leur dépendance à votre accompagnement.

En d’autres termes : votre posture peut devenir le terreau d’une dépendance croisée.


Parce que cela impacte directement la sécurité émotionnelle et relationnelle du cadre

Un accompagnement de qualité nécessite :

  • un cadre clair,

  • une temporalité respectée,

  • un rapport sain au processus.

Si vous êtes vous-même dans la compulsion du travail intérieur, vous risquez :

  • de déborder les limites professionnelles,

  • de vous épuiser émotionnellement,

  • de créer un climat de suspicion et de performance permanente chez vos clients.

La sécurité émotionnelle passe par votre capacité à incarner la conviction qu’on peut être en chemin ET déjà complet.


Parce que votre exemplarité est votre premier outil

Dans les métiers de l’accompagnement, l’exemplarité n’est pas la perfection.C’est la capacité à :

  • avoir conscience de vos dynamiques internes,

  • les nommer si nécessaire,

  • savoir quand vous êtes pris dans vos propres filets,

  • vous autoriser des espaces de vie qui ne soient pas des espaces thérapeutiques.

Vos clients apprennent autant par votre posture incarnée que par vos mots.Si vous montrez qu’on peut vivre, créer, aimer avec des parts d’ombre non totalement “nettoyées”, vous leur offrez un modèle plus sain que celui d’un accompagnant crispé sur la guérison perpétuelle.


Parce que l’éthique professionnelle l’exige

Le risque majeur de l’addiction au travail sur soi chez l’accompagnant, c’est de :

  • créer une relation d’emprise subtile (“je détiens le chemin, je vais t’aider à aller plus profond encore et encore…”),

  • perdre le sens de la finalité (“pourquoi la personne vient, qu’est-ce qu’elle souhaite concrètement ?”),

  • confondre l’accompagnement avec un compagnonnage de souffrance.

L’éthique professionnelle impose de questionner régulièrement si notre posture nourrit l’autonomie ou la dépendance.

En résumé

👉 Si vous êtes accompagnant, vous avez la responsabilité de connaître ces mécanismes, non pas pour vous culpabiliser, mais pour garder un regard lucide sur ce que vous incarnez et proposez. 👉 Vous avez le devoir d’offrir un accompagnement qui ouvre à la vie, pas qui enferme dans une quête infinie.

Parce qu’on ne guérit pas les autres en s’épuisant à se réparer soi-même. On les aide en incarnant un espace de présence, de clarté et de liberté intérieure.


Si vous vous reconnaissez dans ces mots, je vous invite à vous poser ces deux questions simples :

« Est-ce que vous contrôlez ce comportement ou est-ce que c'est lui qui vous contrôle ? » « Et si je décidais que je suis déjà suffisamment prêt·e pour vivre ? »


Parce qu’au fond, c’est peut-être ça, le vrai pas vers la guérison :oser exister, sans mode d’emploi.


Le "travail sur soi" est un outil, pas une identité. Vous n’êtes pas obligé·e de passer votre vie à vous observer et à vous réparer. Vous avez le droit de vivre, d’aimer et de créer, même si tout n’est pas résolu. Parce qu’en réalité, c’est en vivant qu’on se transforme le plus profondément.

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